Google est donc une nouvelle fois sanctionnée par l’UE pour ses pratiques d’abus de position dominante. On entend deux sons de cloches. Certains soulignent cette aubaine financière pour l’Europe et ses pays membres. D’autres s’enthousiasment de cette action qualifiée de politique qui mettrait de l’ordre dans la nouvelle économie, un nouveau monde sauvage dirait-on.
Aucune de ces lectures des sanctions de la Commission n’éclaire suffisamment la complexité des enjeux. Y voir une opportunité financière est tout simplement dégrader l’action de la Commission et c’est peu honorable pour les Etats membres supposés y trouver un intérêt immédiat dans le contexte post-Brexit. Et par ailleurs se féliciter béatement de la sanction est méconnaître la nature des changements de paradigmes qui influencent les relations entre les acteurs technologiques, économiques et commerciaux au cœur de ces éco-systèmes.
Il est temps d’avoir la clairvoyance de reconnaître l’installation durable et irréversible de nouveaux acteurs économiques qui de par leur modus operandi ont instauré de nouveaux rapports économiques pour la production de plus-values.
Les précurseurs qui laissent ouvert et libre l’accès à tout ou partie de leur innovations, acquièrent une position centrale, voire dominante, et leur développement en rhizome permet à une quantité d’autres acteurs d'émerger en tant que potentiels nœuds de développement.
La position dominante dont il est question est donc constitutive de la dynamique à l’œuvre. C’est ce développement nodal qui permet l’émergence des startups prestataires de services. Les innovations réalisées permettent d’ailleurs, entre autres, une gestion publique plus en phase avec les besoins et plus efficace, je pense notamment aux applications smart cities.
Demain, d’autres sociétés tomberont inévitablement sous le coup des sanctions. Se contenter de sanctionner sans entrer dans une logique collaborative avec les acteurs concernés pour favoriser l’élaboration de solutions, c’est prendre le risque de voir nos actions réduites à la recherche d’opportunités financières. Eviter cet écueil, c’est vouloir donner à l’Europe et à tous les Etats membres un rôle central à jouer pour une meilleure intégration démocratique de la nouvelle économie.
Certes il faut réguler, réglementer. C’est le rôle de la Commission et l’Europe montre à quel point elle peut être leader en matière d’éthique démocratique et de protection des libertés individuelles dont la protection de la vie privée est un fondement. Le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) en est exemplaire. Nous montrons ainsi notre capacité à mettre en place des contrepoids efficaces face aux excès de cette nouvelle économie. Car l’enjeu est aussi idéologique face à l’offensive des radicaux du néolibéralisme qui instrumentalisent la dynamique attractive de l’innovation au profit d’intérêts particuliers.
Cécile Jodogne